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Aménagement : Tour d'horizon

CCIG
Posté le 29/06/2015
Articles de fond

Depuis plus de dix ans, le dossier de l’aménagement est en bonne place dans l’agenda des priorités politiques genevoises. Les propositions pour concilier préservation de la zone agricole et mise à disposition de périmètres à bâtir, afin d’accompagner la croissance de la population et le développement rapide des activités économiques, se sont succédées. Le bilan de leur mise en œuvre reste préoccupant au vu des problématiques toujours présentes en 2015 : mobilité chaotique, pénurie de logements, pression importante sur la zone agricole, saturation des zones d’activité. Rappel de quelques étapes.

Planifications globales difficiles à mettre en œuvre
Au début des années 2000, la Confédération a élaboré sa politique d’agglomération qui a incité Genève à penser son territoire au-delà de ses frontières politiques. De sa collaboration avec les départements de l’Ain et de la Haute-Savoie et avec le canton de Vaud est né le Projet d’agglomération qui a identifié les enjeux majeurs de la région en termes d’aménagement. Les infrastructures de transports étaient au centre du projet et ont fait l’objet d’un financement confédéral partiel.

Les principes définis dans le cadre de ce projet – réaliser une agglomération compacte, multipolaire et verte – ont sous-tendu les travaux de révision du plan directeur cantonal genevois. La CCIG, par le biais de l’exposition GVAcube fondée sur une étude menée par le Laboratoire de la production d’architecture de l’EPFL, a pris une part active à la réflexion de mise en œuvre de ces lignes directrices. Elle s’est positionnée en faveur d’une densification importante de l’habitat au centre-ville et dans la couronne urbaine, ainsi qu’à proximité des voies de transports publics forts. Elle a mis en avant la nécessité d’un renouvellement urbain « vers l’intérieur », notamment avec une mutation du PAV et de certaines zones villas à proximité du centre, allié à une extension de la ville sur certains périmètres agricoles étant ou pouvant être desservis par les transports publics.

Adopté par le Grand Conseil le 20 septembre 2013, le Plan directeur cantonal 2030 a été examiné par le Conseil fédéral à la lumière de la nouvelle loi sur l’aménagement du territoire en vigueur depuis mai 2014. Cet examen n’a été sanctionné que d’une acceptation partielle. En cause, notamment, « la stratégie d’urbanisation qui, outre l’effort d’urbanisation et de développement vers l’intérieur, implique d’importantes extensions urbaines sur les bonnes terres cultivables et les surfaces d’assolement »*. Seules les mesures prévues jusqu’en 2023 sont validées. 230 des 500 hectares de zone agricole prévus pour le développement urbain ne sont pas admis au déclassement afin de préserver le quota de surfaces d’assolement sur le territoire genevois.

Inévitable densification
Quelles réponses pourront-elles être apportées par le canton ? Une révision partielle paraît inévitable. En parallèle, le Conseil d’Etat souhaite que la Confédération révise le plan sectoriel des surfaces d’assolement qui n’a pas été adapté à l’évolution démographique et économique de Genève. Mais il ne faut pas se leurrer : d’autres solutions devront être adoptées, à commencer par une densification qualitative de la zone urbaine.

Densification : le mot fait peur, tout en constituant la seule alternative réaliste à la préservation de l’environnement urbain. La population y est sensible. Elle a accepté en votation, l’an passé, l’inscription d’une densité minimale en zone de développement. Meilleur potentiel de densification en zone villa et surélévations de certains immeubles sont déjà possibles.

Le principe de densité admis, encore faut-il le rendre qualitatif. Dans ce contexte, il convient d’éviter les erreurs du passé et l’émergence de barres d’immeubles sans âme. Les grands périmètres, notamment, doivent être des vitrines dans lesquelles il faudra réaliser des projets exemplaires. Dans ce contexte, le projet lauréat de l’Etoile, au cœur du quartier de Praille-Acacias-Vernets (PAV), est porteur d’espoir. Le concept de densité verticale y est enfin développé, le projet faisant apparaître quelques bâtiments de grande hauteur et imaginant une densité élevée. On ne peut que s’en réjouir.

Une forme urbaine parmi d'autres
Mais construire une tour ne constitue pas la solution à tous les défis. Il s’agit d’une forme urbaine parmi d’autres qui, contrairement à une idée reçue, n’offre pas automatiquement une densité élevée en raison des normes légales applicables. En particulier, le respect des distances entre les constructions peut réduire considérablement la densité d’un périmètre où une tour serait érigée en empêchant l’implantation d’autres bâtiments dans une proximité immédiate.

Mais plus encore que la modification de ces règles d’urbanisation figées, c’est à une campagne de conviction sociale que les promoteurs des tours doivent s’atteler. « Les tours ont clairement un aspect culturel. Parfaitement admises en Asie ou dans les métropoles étasuniennes par exemple, elles doivent encore se faire une place en Suisse. D’ailleurs, quelle est la définition de la tour ? Combien d’étages un bâtiment doit-il compter pour appartenir à cette catégorie ? Dans l’inconscient de la population, toute construction qui dépasse les gabarits légaux usuels est une tour, même si elle ne fait qu’une douzaine d’étages », relève Carmelo Stendardo, architecte associé de l’Atelier d’Architecture 3BM3. « Il serait intéressant de lancer un projet pilote à Genève. Il y a une vraie demande d’habitants qui souhaiteraient vivre dans les étages, avec les grands dégagements sur la ville que pourrait offrir une tour ».

Si peu de tours ont été construites en Suisse, ce n’est pas par manque de compétences. Les techniques de construction sont connues et maîtrisées, ainsi que l’exemple de la Prime Tower de Zurich le démontre (voir encadré). Une mixité entre activités tertiaires et logements est nécessaire pour équilibrer le plan financier, les coûts de construction se révélant légèrement supérieurs à ceux d’un immeuble traditionnel. Des surcoûts sont en effet engendrés par les mesures de sécurité (ascenseurs dédiés aux pompiers, cages d’escalier « anti-fumée », détecteurs et extincteurs, etc.) et par les contraintes techniques dues aux grandes hauteurs (prise au vent, résistance sismique, statique du bâtiment, etc.). La question énergétique doit également être appréhendée, des besoins particuliers (accessibilité aux étages par ascenseurs, gestion interne du climat et des fluides) devant être pris en compte.

En contrepartie, le principal gain est la possibilité de créer au sol des espaces publics de qualité, ouverts à un large éventail d’activités sociales, culturelles et commerciales. Le périmètre de plain-pied épargné grâce à la densité verticale du bâtiment permet la création de zones de rencontre, de cafés, de parcs destinés aux habitants. L’ouverture d’un lieu public au sommet des tours est également facteur d’attractivité.

Genève peut-elle faire l’économie d’une diversification de son tissu urbain ? Comme le rappelle Carmelo Stendardo, « Genève est calviniste ; on n’aime pas les immeubles qui dépassent. Mais il faut reconnaître que le quartier de Praille-Acacias-Vernets (PAV) se prêterait très bien à des bâtiments de grande hauteur, à considérer comme les nouveaux symboles urbains, à l’image de ce qu’étaient les clochers des églises au Moyen Age ou les tours des télévisions au 20e siècle. Il est temps de construire la ville du futur ».

* Rapport d’examen de l’Office fédéral du développement territorial (ARE) du 13 avril 2015


Tour de Suisse

Plus haute tour de Suisse lors de son inauguration en 2011, la Prime Tower du quartier de « City West », à Zurich, compte 36 étages et culmine à 126 mètres. Conceptualisée par le bureau d’architectes suisses Gigon-Guyer, elle a été réalisée par un consortium constitué de Losinger-Marazzi AG et Steiner AG. Alain Capt, ingénieur civil EPFZ-SIA, directeur des travaux chez Losinger-Marazzi et responsable de la réalisation pour le consortium, parle de cette expérience.

« La réalisation de cet édifice, qui symbolise la mutation de ce quartier de Zurich autrefois industriel, a proposé moult défis techniques. Il a fallu prévoir des fondations pouvant supporter une charge de 80 000 tonnes et résister aux mouvements sismiques et à la force dynamique du vent. La construction s’est faite sans échafaudage, au moyen de coffrages auto-grimpants hydrauliquement. La logistique était très importante en raison des faibles surfaces de stockage à disposition et de la nécessité de prévoir des ascenseurs pour acheminer travailleurs et matériaux dans les étages. »

Sur le plan environnemental, Alain Capt insiste sur le fait que « construire une tour ne signifie pas sacrifier le concept énergétique. La Prime Tower est certifiée Minergie et a obtenu également le label américain de durabilité LEED, mention Gold. L’énergie nécessaire au chauffage, au rafraichissement et à l’eau chaude est issue de pompes à chaleur exploitant la nappe phréatique  et de celle récupérée de diverses installations techniques dans le bâtiment. Un raccordement au réseau de chaleur provenant de la proche usine d’incinération permet d’assurer l’apport complémentaire. De fait, la tour jouit d’une totale autonomie vis-à-vis des énergies fossiles (mazout, gaz) ».

Pôle central du nouveau quartier de City West, la Prime Tower est également devenue un lieu de rencontre. Des zones publiques, avec un bar de plain-pied et un restaurant/bar/lounge au dernier étage, offrant une vue époustouflante sur Zurich, ont été prévus.
 
La Prime Tower est une tour de bureaux. « Une réalisation incorporant des logements ou exclusivement destinée à l’habitat est parfaitement envisageable », précise Alain Capt. « Pour City West, deux autres bâtiments de grande hauteur, la Tour Zoelly, 23 étages et 128 logements, et la Tour Mobimo, 24 étages partagés entre un hôtel et du logement, démontre la variété des programmes d’occupation possible. Il est néanmoins préférable de n’avoir qu’une seule utilisation (activités ou habitat) pour des questions techniques, les besoins n’étant pas les mêmes. Il faut cependant être conscient qu’un tel programme ne peut pas inclure des logements bon marché au vu des contraintes liées à la réalisation d’un tel édifice. ».


Commentaire

Zurich a franchi le cap de la construction verticale en faisant de la Prime Tower un lieu à visiter pour les touristes et un pôle de rencontre et de loisirs pour les Zurichois. La nécessité d’utiliser rationnellement le sol devrait conduire Genève, par exemple dans le périmètre du PAV, qui s’y prête parfaitement, à faire preuve d’audace et à réaliser les trois tours envisagées par le projet lauréat du concours d’architectes de l’Etoile. Sinon, la pénurie de logement et les réserves sur le plan directeur cantonal pourraient bien se voir reconduites pour un tour…

 

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