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Le développement durable porte-t-il conseil, ou l’inverse ?

CCIG
Posté le 04/12/2019
Articles de fond

Si la durabilité est une responsabilité de l’entreprise dans son ensemble, l’impulsion émane souvent de son Conseil d’administration. L’une des tables rondes de l’Evénement économique 2019, organisée en collaboration avec le Cercle suisse des Administratrices (CSDA), a justement abordé cette question cruciale.

Les démarches de développement durable qu’un Conseil d’administration doit insuffler dans l’entreprise sont à l’image de la balançoire à bascule pour enfants : « Garder l’équilibre nécessitait un bon dosage de conviction, de force et de légèreté. De même, un Conseil d’administration a besoin de prendre des décisions équilibrées faites de consensus », déclare en préambule Dominique Faesch, présidente du CSDA. D’autant plus difficile que de nombreuses entreprises considèrent que toutes les « nouvelles réglementations ne seraient pas supportables », précise Marie de Freminville, associée fondatrice de Starboard Advisor et animatrice de ce panel.

Le développement durable, simple effet de mode ? « Non, affirme Cédric Juillerat, administrateur délégué et CEO de Codalis SA, c’est un changement de fond auquel les Conseils d’administration doivent se préparer en adaptant leur fonctionnement ». Il est vrai aussi que les ressources planétaires ne laissent pas le temps de s’appesantir : « Pour atteindre les 17 objectifs de développement durable de l’ONU, on a besoin que l’économie y participe massivement et se structure, déclare Jonathan Normand, directeur exécutif de B Lab Suisse. Il existe des opportunités et surtout l'Agenda 2030 de la Suisse pour que l’organe stratégique se confronte à l’urgence. Comment se fait-il que 85 trillions de francs soient en circulation dans l’économie mondiale alors que six seulement sont nécessaires pour financer l'Agenda 2030 ? L’argent est là, il faut désormais le rediriger vers les bons actifs ». Quant à Natacha Polli, experte en gouvernance et compliance à PAZ Consultants SA, elle est d’avis de « profiter de l’effet de mode pour mettre le sujet à l’ordre du jour sans tergiverser. L’essentiel est que le Conseil d’administration évite les conflits d’intérêts et œuvre pour la transparence ».

Un « temps long » à trouver

Marie de Freminville lance ensuite la délicate question du profit recherché par les entreprises. Pour Cédric Juillerat, « l’un des rôles du Conseil d’administration est d’assurer la pérennité de la société sur le long terme. Mais, tout comme l’agriculture avait dû s’adapter à l’école obligatoire, l’économie d’aujourd’hui doit se réinventer pour être profitable ». Selon Jonathan Normand, les 12 000 milliards de francs d’opportunités – chiffre énoncé par le World Business Council for Sustainable Development (WBCSD) – sont la preuve de son potentiel. Le Conseil d’administration ne doit pas fonctionner que sur le court et moyen terme, mais miser aussi sur le temps long, fondé sur le modèle d’affaires et la chaîne de valeurs. « Cela passera par une mutualisation des investissements », poursuit Jonathan Normand.

Eviter le statu quo

Avec les changements d’enjeux, les Conseils d’administration modifient logiquement leur composition et leurs méthodes. Les millenials qui les intègrent challengent les anciens et amènent de nouvelles réflexions. Bien sûr, il s’agit de distinguer un Conseil d'administration à compétence exécutive de celui où les administrateurs ne traitent que de stratégie. « De nouveaux administrateurs vont arriver en tant que force de proposition, fait remarquer Natacha Polli. Ne rien faire serait le pire des scénarios. Mieux vaut commencer petit, ou au contraire de façon ambitieuse, même au risque de se tromper ». « Mettez à l’agenda de vos Conseils une séance pour voir le pouvoir d’action de votre entreprise dans la durabilité, suggère à son tour Jonathan Normand. Vous verrez, ce sera riche d’enseignements ! »

Les panélistes s’accordent à dire que, dans les Conseils d’administration, un système de rémunération par objectif, au lieu de jetons de présence stériles, dynamiserait l’intégration des critères de développement durable. Un fonctionnement non discriminant, qui évalue mieux le travail accompli par chacun. « Les administrateurs ont la responsabilité de faire preuve de curiosité et de courage pour bousculer les choses dans le bon sens », pointe Natacha Polli.

La composition d’un Conseil d’administrateur se doit aussi d’être plus égalitaire. « Mais il faut définir si elle doit refléter la population ou sa propre clientèle », fait remarquer Natacha Polli. Et quid des actionnaires ? « Ce n’est pas au Conseil de convaincre les actionnaires de miser sur le développement durable, mais plutôt l’inverse, estime Cédric Juillerat. L’actionnaire attend une impulsion ferme sur le long terme, et non des petites mesures. L’égalité des genres, le resserrement salarial et la pénibilité des tâches sont autant de critères à intégrer dans la responsabilité sociale d’une entreprise ».

Le meilleur label pour soi

Autre phénomène, la compliance qui devient omniprésente. « Dans le secteur bancaire, 80% des discussions des administrateurs tournent autour de la gestion des risques due aux réglementations, au détriment des objectifs stratégiques », explique Natacha Polli. « Dans les appels d’offre, la pondération du développement durable est encore faible face au critère du prix », indique Cédric Juillerat. La révision de la loi fédérale sur les marchés publics (LMP), adoptée en juin 2019 par l’Assemblée fédérale, devrait y remédier.

Mais avant d’attendre de nouvelles normes, autant anticiper ces contraintes en commençant par s’autoévaluer. « Mais comment s’y retrouver, pour un administrateur, dans la jungle des labels de développement durable ? », lance Marie de Freminville. Si les standards les plus reconnus sont les ISO, d’autres – tels BCorp – peuvent servir de curseurs intéressants pour se situer. Rien ne sert de prendre juste le label à la mode, il faut choisir le meilleur pour son entreprise. Jonathan Normand estime que l’utilité d’une telle étiquette, plus que la taille et le secteur de l’entreprise, dépend de la démarche : « Toute labellisation à acquérir demandera de nouvelles compétences. Il faut le faire non comme une contrainte, mais dans une dynamique d'impact matériel positif, en voyant quels leviers enclencher. Votre PME ne doit pas être déconnectée de la réalité, mais rester compétitive et viable ».

Vers une intelligence collective ?

Se pose aussi la question des compétences métiers au sein d’un Conseil d’administration. Natacha Polli recommande « un accès facilité de l’employé au Conseil pour partager ses vues ». Pour Cédric Juillerat, « tout recrutement doit prendre en compte la diversité de talents mêlant savoir-faire et savoir-être ». Jonathan Normand abonde en y ajoutant des formations spécifiques et l’intelligence collective: « Tout comme la malversation serait vite dénoncée aux administrateurs, il s’agit de leur faire remonter un manquement à la durabilité, qui peut être déterminante pour la survie de l’entreprise ».

Pour répondre à l’intitulé de la table-ronde (Responsabilité sociétale et environnementale du Conseil d’administration, éthique ou conformité ?), les Conseils doivent-ils faire preuve d’éthique ou de conformité ? « Le fait de mettre des croix dans une grille ne certifie pas une vraie durabilité d’entreprise », ironise Natacha Polli. « Les règles du jeu ont été secouées et sont désormais inadaptées à l’ère du temps. Il faut donc redéfinir la façon actuelle d'opérer », conclut Jonathan Normand. La réponse est donc légèrement ambiguë. Il y a sans doute un peu des deux…


Qui est le CSDA ?

Le Cercle Suisse des Administratrices regroupe plus de 200 membres, administratrices actives dans des conseils de PME et grandes entreprises. Son objectif statutaire est de promouvoir la diversité et d’œuvrer pour une bonne gouvernance. A noter que c’est un fleuron genevois qui a gagné le Prix 2019 du CSDA, la société Caran d’Ache.


Un guide pionnier sur le DD !

Le Code suisse de bonnes pratiques pour le gouvernement d’entreprise* indiquait en 2002 déjà que le Conseil d’administration doit se laisser guider par l’objectif d’un développement durable de l’entreprise. Ce texte définit les objectifs stratégiques et les moyens généraux pour y parvenir. Il désigne les personnes à qui la gestion des affaires doit être confiée et veille dans sa planification à coordonner la stratégie et les finances. Ce qui a changé est surtout le contexte. Ainsi, dans les classements internationaux des meilleures entreprises, une place croissante est désormais donnée à la dimension extra-financière, à la gouvernance, à la diversité et aux risques climatiques.

 

* Elaboré par economiesuisse, ce Code peut être téléchargé ici

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