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Faire mieux avec moins : le nouveau credo de la croissance ?

Alexandra Rys
Posté le 24/02/2021
Articles de fond

Sous le titre « Le bien-être durable. Quelle croissance pour Genève ? », la CCIG a lancé, en 2019, une vaste étude sous le pilotage d’un comité scientifique, pour déterminer des scénarios de réflexion et des outils d’aide à la décision sur comment aborder la croissance à Genève. Cette étude se compose de deux phases : une première étape compile les indicateurs de la croissance et les discute, et une seconde, empirique, lancée fin 2020, tentera de comprendre la manière dont les acteurs économiques considèrent la croissance et les changements qu’ils sont susceptibles d’engager en matière de développement durable.

Le visage de la croissance à Genève

D’une manière générale, pour la Suisse comme pour d’autres pays, jusqu’au début des années 1900, le PIB par tête n’évolue que très lentement. D’après les données fournies par le Maddison Project Database, le PIB suisse par habitant aurait ainsi été seulement multiplié par 5 entre l’an 1 et 1900. Au cours du siècle suivant, il a ensuite été multiplié par 8. Avec une telle intensification du rythme de la croissance économique et démographique, il n’est somme toute pas étonnant de voir émerger de nouvelles problématiques (telles que celles liées à l’environnement), qui n’étaient tout simplement pas suspectées jusqu’à alors.

Afin d’illustrer le phénomène de la croissance et ses diverses facettes, l’étude a compilé de nombreuses séries temporelles. Quelques-unes sont présentées ici.

PIB et revenu cantonal

Le revenu cantonal est nettement inférieur au PIB cantonal (1997-2005), car il n’inclut pas les salaires des personnes travaillant à Genève mais résidant ailleurs, que ce soit dans un autre canton ou dans un autre pays (frontaliers). C’est l’inverse en ce qui concerne le produit des activités que des résidents (individus ou entreprises) genevois réalisent à l’extérieur du canton. Ainsi, la chute du revenu cantonal genevois en 2001 et 2002, sans que le PIB ne décroisse, provient surtout de l’effondrement des cours boursiers, qui pèsent sur les revenus des sociétés financières, très présentes à Genève, tandis que l’économie du canton n’a pas été particulièrement affectée. Si le PIB fait donc transparaître de la croissance économique, il n’est pas évident que cette croissance présente une amélioration du niveau de vie de la population locale.

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PIB et revenu par habitant

Le niveau du PIB par habitant est clairement supérieur à Genève, en moyenne de 20 000 francs sur la période 1997-2018. La proportion de travailleurs frontaliers étant nettement plus élevée à Genève que dans le reste de la Suisse, ce constat n’est finalement pas étonnant. Mais, si l’on compare le revenu national/cantonal, on constate alors que Genève et la Suisse sont beaucoup plus proches.

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Indice des prix à la consommation

L’évolution des prix est un élément important à considérer dans le contexte de la croissance. En effet, ce qui importe pour le bien-être de la population est la croissance réelle, c’est-à-dire corrigée de l’inflation. Le niveau des prix est aujourd’hui environ 3,5 fois plus élevé que dans les années 1960, mais il n’a pratiquement plus changé depuis 2008. On voit néanmoins que, depuis 1985, le niveau des prix genevois augmente plus rapidement que celui des prix suisses. Le PIB nominal peut croître suite à une augmentation des quantités produites, mais également suite à une augmentation des prix. Le fait que les prix augmentent de manière substantielle renforce ainsi l’importance d’une croissance inclusive et qui profite de manière équitable à tous.

Population et activité

Après avoir présenté l’évolution des indicateurs traditionnels de la croissance économique, voyons à présent des indicateurs fournissant des informations sur les groupes qui composent la population et comment ces groupes se répartissent les bénéfices de la croissance. Il s’agit donc d’indicateurs permettant de déterminer si la croissance observée ces dernières décennies se révèle inclusive (ou non).

La population genevoise a plus que doublé en l’espace de 50 ans et est aujourd’hui 2,5 fois supérieure à ce qu’elle était en 1950. Dans le même temps, la population suisse n’a augmenté « que » de 50% de 1950 à 2000 et est aujourd’hui moins de 2 fois supérieure à ce qu’elle était en 1950.

Espérance de vie et fécondité

Les gains réalisés en termes d’espérance de vie sont substantiels : depuis 1930, à Genève, l’espérance de vie à la naissance a augmenté de plus de 22 ans, pour les femmes comme pour les hommes. Le taux de fécondité est, quant à lui, nettement plus faible aujourd’hui que durant les Trente Glorieuses ou avant la Première Guerre mondiale. Le nombre d’enfants par femme se situe aux alentours de 1,5 (pour Genève et pour la Suisse) et, donc, nettement en-dessous du nombre de 2,1 nécessaire au renouvellement des générations. Ce faible taux de fécondité contribue par conséquent au vieillissement de la population.

Toutefois, l’allongement de l’espérance de vie et la faible fécondité sont en partie compensés par l’immigration. La proportion de ressortissants étrangers dans la population genevoise a fortement progressé, passant de 17% en 1950 à 40% en 2018.

Population active et marché du travail

Depuis 1960, la population active augmente en raison de l’entrée de femmes sur le marché genevois du travail. En 2000, il y a quasiment autant de femmes suisses actives que d’hommes suisses actifs. Toutefois, le taux d’activité des hommes (surtout des Suisses) a tendance à diminuer : cela témoigne d’un phénomène de substitution sur le marché genevois du travail, par lequel les hommes sont remplacés par des femmes au fil du temps.

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Part importante de la main-d’œuvre, les travailleurs frontaliers ont vu leur nombre évoluer d’une manière significative au cours des 70 années écoulées, tant à Genève qu’en Suisse. D’un montant négligeable en 1950, leur nombre dépasse aujourd’hui 300 000 en Suisse et atteint presque 100 000 dans le seul canton de Genève. Les travailleurs frontaliers représentent ainsi actuellement près de 7% de la population active occupée au niveau national et plus de 25% de la population active occupée dans le canton. Sachant que Genève compte environ 2 résidants actifs pour 3 emplois, le besoin pour cette main-d’œuvre se confirme.

Salaires et aide sociale

Les salaires évoluent de manière relativement équitable le long de la distribution, avec un écart assez stable tout au long de la période d’observation (2002 – 2018). Cet écart est malgré toute substantiel, puisqu’il s’élève actuellement à plus de 4500 francs par mois entre le troisième et le premier quartile. Depuis 2002, le troisième quartile se situe entre 1.8 et 1.9 fois la valeur du premier quartile. Autrement dit, le quart des individus avec les salaires les plus élevés obtiennent des revenus au moins deux fois supérieurs à ceux obtenus par le quart des individus avec les salaires les plus faibles.

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On peut rapprocher ces données du nombre de dossiers traités par l’Hospice général. Ceux-ci ont connu une hausse très soutenue au cours des deux dernières décennies, passant d’une dizaine à environ 30 par 1000 habitants, soit une augmentation largement plus que proportionnelle à l’augmentation de la population.

Impacts de la croissance

L’étude recense ensuite un certain nombre de statistiques portant sur les transports, le logement ainsi que sur la consommation d’énergie, afin d’avoir une idée de l’impact de la croissance économique sur l’environnement.

Transports

Après avoir augmenté régulièrement depuis 1970, le nombre de voitures de tourisme immatriculées à Genève s’est stabilisé depuis 2000. Compte tenu de l’augmentation de la population qui est intervenue pendant cette période, cela signifie que le taux de motorisation a diminué, passant de 500 voitures pour 1000 habitants à moins de 450. Il continue toutefois d’augmenter dans le reste de la Suisse. Cette évolution peut probablement s’expliquer par le niveau de vie et le développement des réseaux routiers et de transports publics. Dans les années 1970, les revenus relativement élevés du canton de Genève ont sans doute permis aux habitants d’acquérir plus de véhicules privés que dans le reste de la Suisse. Le trafic encore modeste de l’époque rendait par ailleurs le transport privé attractif.

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Carburants et émissions de CO2

Les quantités de carburants avaient fortement augmenté dans les années 80, pour atteindre un niveau maximal proche de 350 millions de litres en 1989, puis à nouveau en 2001. Depuis, les quantités se sont significativement réduites, mais la baisse semble être arrêtée depuis 2015. Celle-ci est en grande partie explicable par les progrès technologiques qui ont permis d’améliorer l’efficience énergétique des véhicules.

En ligne avec la diminution des carburants, les émissions de CO2 sont également en phase de réduction. Pour les combustibles utilisés pour les besoins de chauffage (mazout et gaz naturel), on observe globalement une légère diminution. Cette évolution est le résultat d’une substitution du mazout par du gaz naturel, ce dernier émettant moins de CO2. Mais, le remplacement d’un système de chauffage étant une opération rare, la réduction dans ce domaine ne pourra être que lente.

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En ligne avec la diminution des carburants, les émissions de CO2 sont également en phase de réduction. Pour les combustibles utilisés pour les besoins de chauffage (mazout et gaz naturel), on observe globalement une légère diminution. Cette évolution est le résultat d’une substitution du mazout par du gaz naturel, ce dernier émettant moins de CO2. Mais, le remplacement d’un système de chauffage étant une opération rare, la réduction dans ce domaine ne pourra être que lente.

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Les indicateurs pour comprendre la croissance

La première partie de l’étude s’est attachée à définir les concepts liés à la croissance et à en décrire les différentes dimensions (économique, démographique, urbaine, etc.) ainsi que de leurs mesures et de leurs limites, ainsi que de discuter des aspects positifs et négatifs liés à la croissance, par exemple l’impact sur le bien-être ou l’environnement. Elle a également compilé les données existantes sur les différentes dimensions de la croissance à Genève, notamment la croissance économique, démographique, des transports, du logement, des territoires, etc.

La discussion des différents indicateurs a été faite dans le CCIGinfo n° 3 de mars 2020, les constats ne sont donc que brièvement rappelés ici. Tout d’abord, il est clair – et ce depuis longtemps – que les indicateurs habituellement utilisés pour mesurer la croissance, en particulier le PIB, sont imparfaits car ils se focalisent sur la croissance économique et ne permettent pas de saisir l’ensemble des conséquences de la croissance.

L’indice de développement humain (IDH), créé par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), se fonde sur trois dimensions : l’espérance de vie à la naissance, le niveau d’éducation et le niveau de vie. Le classement des pays qui en résulte est quasiment le même qu’avec la seule mesure du PIB et cet indice ne tient pas compte de l’impact environnemental. Quant au Bonheur National Brut (BNB) bhoutanais, il est délicat car fondé sur une auto-évaluation du niveau de satisfaction. On peut aussi s’interroger sur sa pertinence.

Outre que le PIB ne traduit que mal le développement économique réel, il ne donne aucune information en termes sociaux ou environnementaux. D’autres concepts ont donc fait leur apparition et sont maintenant sur le devant de la scène. Il s’agit par exemple du développement durable, de la croissance verte ou encore de la société à 2000 Watts. Toutefois, aucun n’est exempt de défauts.

La notion de croissance, on l’a vu, ne décrit pas ipso facto une réalité positive. De même, ni la stabilité ni la décroissance ne sont nécessairement négatives (qu’on pense au niveau des prix ou aux ventes de carburants). Il est essentiel de se départir des imageries idéologiques attachées aux termes croissance et décroissance pour appréhender réellement qui (ou quoi) gagne ou perd. Et, in fine, trouver les moyens de faire en sorte que l’ensemble des citoyens soient gagnants, sur le long terme.

Pour voir l’étude complète, cliquer ici.


 

Pourquoi s’interroger sur la croissance ?

La croissance économique et le bien-être matériel collectif sont généralement associés. A court terme, il semble peu discutable que la croissance économique détermine le niveau du bien-être social. Mais le bien-être comporte d’autres dimensions que la composante monétaire et les conséquences de la croissance économique ne sont pas que positives : que l’on pense à la pénurie de logements ou à l’encombrement des routes, bien connus des Genevois*. L’apparition de la pandémie de Covid durant la conduite de cette étude a renforcé l’actualité de cette thématique.

Actrice de la vie économique et politique genevoise, la CCIG, comme un nombre croissant de citoyens et d'entreprises, s’interroge. Elle a donc décidé de réaliser une étude en vue de proposer des scénarios de réflexion et des outils d’aide à la décision sur comment penser et aborder la croissance. Ainsi, il est attendu de cette étude qu’elle contribue à mieux anticiper et planifier l’évolution urbaine du canton, en particulier en identifiant si des modèles alternatifs au modèle existant de la croissance seraient pertinents pour Genève.

* Voir CCIGinfo No 11, Novembre 2019


Le Comité scientifique

  • Prof. Andrea Baranzini, HEG-Genève
  • Prof. Jean-Michel Bonvin, UNIGE, Institut de démographie et socioéconomie
  • Prof. François Dermange, UNIGE, Faculté de théologie
  • Prof. Giovanni Ferro-Luzzi, HEG / UNIGE, Institut de recherche appliquée en économie et gestion (Ireg)
  • Prof. em. Bernard Lachal, UNIGE, Département Forel des sciences de l’environnement et de l’eau
  • Dr Jasmine Lorenzini, UNIGE, Institut d’études de la citoyenneté
  • Prof. Solène Morvant-Roux, UNIGE, Institut de démographie et socioéconomie
  • Prof. Sophie Swaton, Université de Lausanne, Faculté des géosciences et de l’environnement
  • Dr Sylvain Wenger, UNIGE, Département d’histoire, économie et société
  • Nathalie Hardyn, Alexandra Rys et Karin Byland, CCIG

Collaborateur scientifique : Dr Sylvain Weber, chargé de projets de recherche à l'Ireg et collaborateur scientifique et chargé d'enseignement à l'Université de Neuchâtel.

 

 

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