Votation du 15 mai : Accueil versus sécurité, le faux débat du référendum Frontex
Le 15 mai, le peuple helvétique votera sur l’adoption du nouveau règlement de l’Union européenne (UE) relatif à l’agence de protection des frontières Frontex. Depuis fin 2019, l’UE a en effet décidé de renforcer les moyens de cette agence qui soutient les autorités nationales dans la surveillance des frontières. Le référendum lancé par la gauche pour dénoncer de mauvais traitements aux frontières envers les personnes réfugiées et migrantes atteint-il bien sa cible ? Trois éléments pour y répondre.
Quitter Frontex aura-t-il une influence sur la politique migratoire ?
Des critiques ont été formulées à l’égard de l’agence européenne concernant des refoulements illégaux du point de vue du droit international aux frontières extérieures de l’UE. Ces pratiques, dites de « pushbacks », impliquent des expulsions forcées, parfois violentes sans que le statut des personnes concernées n’ait pu être déterminé. Or, le principe de « non-refoulement » garantit que les personnes en transit puissent accéder effectivement à une procédure de protection internationale, notamment pour déposer une demande d’asile. Elles ne peuvent être expulsées avant le dépôt de la demande ou avant que le traitement de celle-ci ne soit terminé.
Si le rapport d’enquête publié en juillet 2021 par le Parlement européen relève des erreurs de gestion, il ne constate toutefois pas que l’agence Frontex ait été impliquée elle-même dans de telles pratiques. Elles sont donc uniquement le fait de garde-côtes et garde-frontières nationaux des Etats membres. En outre, ces dysfonctionnements ont pu être constatés grâce au rôle actif de la Suisse. C’est en effet elle qui a exigé du conseil d’administration de Frontex que soit menée une enquête approfondie, rapide et transparente sur les accusations de « pushback ». En étant exclue de l’espace Schengen/Dublin, la Suisse perdrait ses deux sièges au conseil d’administration de Frontex et donc sa possibilité de renforcer le contrôle des activités de l’agence et d’exiger des comptes sur son bilan en matière de droits humains. Comme le souligne l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR), il ne serait alors « plus possible de mener une politique des réfugié-e-s commune avec l’Europe ni d’exercer une influence sur l’orientation de Frontex ».
Ne plus financer Frontex améliorera-t-il la situation des personnes réfugiées et migrantes ?
L’augmentation de la contribution de la Suisse à Frontex s’inscrit dans le cadre d’une réforme destinée à une gestion durable de la protection des frontières extérieures. Cette réforme porte une attention accrue aux questions de respect du droit international : le nombre de fonctionnaires chargés de faire respecter les droits fondamentaux des migrants a ainsi été porté de dix à quarante personnes. Le nouveau règlement Frontex prévoit en outre de renforcer la surveillance de ces droits par des mesures de formation et la mise en place d’une procédure interne de signalement des incidents graves. Il existe de surcroît une procédure de plainte pour les victimes de violations des droits humains et un responsable des droits fondamentaux peut mener des enquêtes sur le terrain de manière autonome.
En visant l’affaiblissement des moyens de l’agence, le référendum contre Frontex n’améliore en aucun cas la situation réelle des personnes réfugiées ou migrantes. L’ONG Amnesty International se montre d’ailleurs claire à ce sujet : « Aucune des dispositions attaquées par voie référendaire ne concerne directement les conditions concrètes des personnes en quête de protection ou la défense des droits humains ». Au contraire, des améliorations ne seront possibles que si des Etats membres associés tels que la Suisse soutiennent fermement le respect des droits fondamentaux et que des moyens suffisants sont alloués à ce but.
En sortant de Frontex, la Suisse contribuera-t-elle à un meilleur respect des droits humains ?
Sans action coordonnée au sein des instances européennes concernées, il est illusoire de croire que la Suisse pourra améliorer le respect du droit international aux frontières extérieures de l’UE. En effet, le référendum helvétique n’aura aucune influence sur le nouveau règlement de l’UE relatif à Frontex et l’agence continuera d’exister indépendamment de la contribution de la Suisse. Mais cette dernière perdrait son influence à l’intérieur de Frontex et la possibilité d’engager des réformes. C’est d’autant plus regrettable que la voix de la Suisse pourrait être remplacée par celle d’autres pays pour lesquels le respect des droits fondamentaux n’est pas une priorité.
Sécurité et accueil : deux politiques séparées
En conclusion, ce référendum crée une confusion entre politique migratoire et sécuritaire. Sortir de Frontex ne toucherait pas l’accueil des personnes réfugiées : chaque pays régule de manière souveraine ses flux migratoires et leurs modalités d’accueil. Ce référendum ne bénéficie donc à personne mais risque de nuire à un grand nombre. Il met en effet en péril les accords de Schengen et de Dublin, lesquels cesseront automatiquement de s’appliquer après six mois car ils sont juridiquement liés à la participation à Frontex. Et, dans ce domaine, les conséquences sur la sécurité seront claires, la Suisse perdant du jour au lendemain son accès à la coopération policière transfrontalière et européenne pour lutter contre la criminalité internationale. Politiques de sécurité et d’accueil ne sont pas mutuellement exclusives ; en essayant de dresser l’une contre à l’autre, ce référendum risque en réalité de nuire aux deux.
Pour ces raisons et les atteintes importantes à l’économie et la sécurité du pays (évoquées dans le CCIGinfo de mars 2022), la CCIG soutiendra la reprise du nouveau règlement européen sur Frontex le 15 mai prochain.
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