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« Mobility pricing » : Quèsaco ?

CCIG
Posté le 29/05/2017
Articles de fond

La notion de « péage urbain » revient régulièrement dans les conversations des Genevois. La Confédération, pour sa part, réfléchit à l’introduction de systèmes de « mobility pricing » visant à renchérir artificiellement les déplacements sur la route ou dans les trains aux heures de pointe. Les entreprises sont directement concernées par ces enjeux. En quoi consistent donc le « mobility pricing » et le péage urbain ? Le point sur la question.

Une même idée : tarifer la mobilité

Le « mobility pricing » signifie littéralement « tarification de la mobilité ». En résumé, il consiste à facturer un déplacement, que celui-ci soit entrepris en véhicule privé ou en transport public. On peut ainsi devoir payer une taxe pour emprunter certaines routes, pour utiliser un tunnel ou un pont, ou pour accéder à certaines parties d’une ville. Au préalable, il faut :

  1. Définir l’objectif du péage ;
  2. Définir la zone ou l’ouvrage concerné par un péage ;
  3. Définir un prix du déplacement en fonction de divers critères.

Un objectif peut être le financement des infrastructures. On s’acquittera par exemple de redevances pour l’utilisation de certains ouvrages, tels que pont, tunnel ou autoroute. En France, c’est le cas des péages d’autoroute. Un autre objectif consiste en la gestion de la mobilité elle-même : en renchérissant les déplacements, on les décourage. Le péage urbain peut être au service de cet objectif : on décourage les automobilistes de se rendre en ville en leur facturant une taxe d’entrée plus ou moins élevée. Un tel système peut être plus ou moins complexe. On peut ainsi prévoir une taxe fixe pour pouvoir circuler à un endroit donné ou la perception de redevances variables : on renchérit les déplacements à certaines heures et sur certains tronçons afin de décourager tant les automobilistes que les usagers des transports publics de se déplacer à un moment et un lieu donnés.

La tarification de la mobilité repose donc sur plusieurs systèmes : péage urbain, taxes routières, redevances de passage, etc. Le péage urbain constitue une forme parmi d’autres de la tarification de la mobilité. Le débat dans les villes suisses porte avant tout sur ce premier système, qui sera décrit ici en particulier.

Le péage urbain

Le principe du péage urbain est simple : on s’acquitte d’une taxe pour entrer en ville et y circuler. On distingue deux catégories :

  • Les péages de type « cordon »: une taxe est prélevée lorsqu’on franchit la limite d’une zone, le centre-ville par exemple, mais les déplacements à l’intérieur de la zone ne sont pas payants ;
  • Les péages de zone: les déplacements à l’intérieur d’une zone définie sont payants.
     

Seul un petit nombre de villes en Europe et au-delà ont fait le choix d’en instaurer un. L’objectif déclaré est souvent de lutter contre les embouteillages et la congestion du réseau routier. Peut-être aussi un moyen fiscal pour renflouer les caisses.

En Europe, c’est le cas de Londres, Stockholm ou Oslo. Comment fonctionnent ces péages ? En général, un réseau de reconnaissance des véhicules (souvent des caméras) relève les passages des automobilistes afin de leur facturer leurs déplacements. Les prix varient beaucoup d’une ville à l’autre. A Stockholm, par exemple, il en coûtera entre 1 franc 10 et 3 francs 50 par passage au centre-ville. A Londres, qui a instauré un péage de zone, il faudra débourser 14 francs par jour pour circuler au centre-ville.

1. Transport for London (2008) : Central London Congestion Charging - Impacts monitoring, Sixth Annual Report 

En général, plusieurs catégories de véhicules sont exonérées des péages, tels que les véhicules d’urgence, les véhicules transportant des personnes à mobilité réduite, les taxis ou encore les deux-roues motorisés. La plupart du temps, les péages sont, en outre, en vigueur uniquement du lundi au vendredi, en journée. Les zones soumises à péage sont en principe le centre des agglomérations, notamment les centres-villes historiques. 

Impact des péages urbains

S’agissant de la circulation, les effets d’un péage urbain sont contrastés. D’une part, le nombre de véhicules circulant dans la zone soumise à péage tend à baisser, ce qui paraît logique. Mais à l’inverse, le trafic qui passait à l’origine par le centre-ville se reporte souvent sur les axes en bordure de la zone de péage, augmentant d’autant la congestion sur ceux-ci. Le gain des uns sont les pertes des autres… Le cas de Londres permet aussi d’illustrer que la réduction des embouteillages au sein de la zone n’est pas toujours définitive. En effet, en quelques années, la baisse initiale de la congestion a été entièrement perdue. Les embouteillages sont peu à peu revenus à leur niveau antérieur, en raison notamment du fait que la surface de voirie à disposition du trafic motorisé a été revue à la baisse en faveur d’autres aménagements[1].

La mise en place d’un péage urbain suppose, à tout le moins, des investissements conséquents dans les transports publics et la capacité de ceux-ci à offrir une alternative crédible à la voiture individuelle. Cette observation est importante dans le cas de Genève : une part substantielle du trafic motorisé pendulaire provient de régions non ou mal desservies par les transports en commun.

S’agissant de l’économie, les résultats sont contrastés et difficiles à généraliser en raison des contextes locaux et de l’hétérogénéité des entreprises. Dans le cas de Londres, les avis sont partagés en fonction des études et des commerces sondés. En parallèle, il convient de souligner que le trafic professionnel n’est en principe pas exonéré du péage, induisant des coûts supplémentaires pour les entreprises. Or, comme on l’a vu dans le cas de Londres, celles-ci ne bénéficient pas d’une amélioration des conditions de circulation pour autant.

Le péage urbain, comme toute forme de tarification de la mobilité, comporte une forte composante « antisociale ». En effet, la propension à payer augmentera tout naturellement avec le pouvoir d’achat et, inversement, des segments plus ou moins importants de la population renonceront à un déplacement en raison de son prix. Ainsi, dans le cas d’un péage urbain de type « cordon » comme à Stockholm, les « perdants » du système sont principalement les pendulaires qui habitent hors de la zone à péage et se rendent quotidiennement dans la zone payante. A l’inverse, les habitants de la zone située à l’intérieur du cordon et qui ne doivent pas se déplacer quotidiennement en dehors de celle-ci sont, eux, les grands « gagnants » du système. En effet, ils profitent des possibles effets positifs du péage urbain (baisse de la circulation) sans en assumer les coûts.[2]

Enfin, le péage urbain et la tarification de la mobilité posent un défi s’agissant de la protection des données personnelles et du respect de la sphère privée : par définition, les autorités publiques sont informées des déplacements des usagers de la route ou des transports publics. Et plus le système de tarification est complexe, plus il doit être intrusif. Or, la population peut être réticente face à un tel « traçage » ; on se souviendra que l’introduction récente de la carte « Swiss Pass » par les CFF a donné lieu à une intervention du préposé fédéral à la protection des données, limitant l’utilisation des données ainsi récoltées sur les habitudes de déplacement des usagers du rail.

Implications pour Genève

Le Conseil fédéral souhaite mettre en place des systèmes de tarification de la mobilité dans les années à venir, et Genève pourrait être parmi les villes concernées par un péage urbain.

Or, on peut être sceptique quant à l’opportunité d’instaurer un tel péage dans les villes de Suisse. Quand, en 2015, le Conseil fédéral a présenté son projet stratégique de tarification de la mobilité, la CCIG s’est d’ailleurs déclarée fermement opposée à l’objectif du Conseil fédéral d’utiliser la tarification de la mobilité comme outil de gestion des déplacements. Le bilan de telles mesures sur le plan économique serait vraisemblablement négatif.

Un péage urbain renchérirait certainement grandement la mobilité dans les zones urbaines, ce qui porterait atteinte à leur attractivité et à leur dynamisme économique. Certes, si un péage permettrait éventuellement de faire baisser quelque peu la congestion sur le réseau routier, les usagers circulant en ville et prêts à débourser le montant circuleraient probablement mieux. Rappelons cependant l’exemple londonien : la baisse des embouteillages initialement observée s’est résorbée assez rapidement.

Pour les commerces des centres-villes, le bilan serait très vraisemblablement négatif. La Suisse, au contraire de la Suède ou du Royaume-Uni, est un petit territoire et la majorité de la population, surtout à Genève, vit à quelques kilomètres d’une frontière. Le tourisme d’achat constitue déjà une menace pour le commerce de détail helvétique, avec quelque 10% du volume global du secteur consommé à l’étranger. Or, qui peut croire que la clientèle serait prête à débourser un tarif « londonien » de 14 francs pour accéder aux villes du canton, alors que les centres commerciaux sis en France voisine lui tendent les bras ? L’équation est en effet fort simple : si l’on ajoute une taxe d’entrée aux autres désavantages dont souffrent les commerces genevois – régime d’heures d’ouverture nettement plus strict qu’en France, par exemple –, l’activité commerciale du centre-ville en diminuera d’autant plus. Rappelons que le commerce de détail genevois (et suisse dans son ensemble) connaît déjà des baisses continues de chiffre d’affaires. Il faut donc éviter autant que possible d’empirer une situation déjà bien difficile.

Les entreprises effectuant des livraisons ou des travaux en ville seraient, elles aussi, soumises au péage urbain. En se basant sur l’expérience londonienne, rien n’indique qu’elles profiteraient en retour d’une amélioration substantielle des conditions de circulation. Les charges auxquelles elles sont soumises sont déjà suffisamment élevées, et il convient plutôt d’explorer les pistes d’allégements plutôt que de chercher à les alourdir.

Enfin, les pendulaires et autres travailleurs se rendant chaque jour en ville seront, eux aussi, parmi les perdants de l’opération. Le Conseil fédéral souhaite non seulement tarifer les déplacements, mais imposer des prix plus élevés aux déplacements aux heures de pointe, tant en véhicule privé que dans les transports publics, en l’occurrence via des prix du billet évolutifs en fonction de l’heure et de la demande. On verrait apparaître une sorte d’impôt spécifique sur les pendulaires. Il a été conçu pour les inciter à ne pas se rendre au travail ou pour profiter du fait qu’ils n’ont pas le choix de se déplacer à ces heures pour engranger des recettes plus importantes.

Quelles alternatives ?

Quelles solutions alternatives face à l’engorgement des routes ? Le péage urbain ne constituant pas une solution adéquate, il faut privilégier un bouquet de solutions susceptibles non seulement d’être plus efficaces, mais aussi de ne pas pénaliser l’activité économique.

En premier lieu, Genève doit urgemment rattraper son retard en termes d’infrastructures de transport. Si l’entrée en service du CEVA contribuera substantiellement à l’amélioration des conditions de circulation sur le territoire cantonal, le renforcement de l’offre en transports publics doit également s’accélérer, de part et d’autre de la frontière. A cet égard, Genève est à la traîne en regard des autres grandes villes du pays. En matière d’infrastructures routières aussi, Genève doit combler ses lacunes en commençant par procéder au plus vite à l’élargissement de l’autoroute de contournement, puis en réalisant la traversée du lac.

Ensuite, s’agissant des entreprises, des mesures de flexibilisation peuvent s’envisager, comme le télétravail et les plans de mobilité d’entreprises, afin de réduire les besoins en déplacement. Soulignons à ce titre que les entreprises ne sont pas restées inactives jusqu’à aujourd’hui ; nombre de sociétés genevoises ont déjà mis en place de telles mesures et des plans de mobilité et de mutualisation des infrastructures sont mis en place dans les zones industrielles du canton. Toutes ces mesures ont un point en commun : elles doivent procéder de l’initiative privée et ne pas découler de mesures coercitives décidées par les autorités publiques. Ce n’est que de cette manière que l’on trouvera des solutions qui soient à la fois efficaces et conformes aux besoins des entreprises et de leurs employés.

 

[1] Transport for London (2008) : Central London Congestion Charging - Impacts monitoring, Sixth Annual Report 

[2] A Stockholm, réduction moyenne des passages du cordon pendant la période payante de 22%, représentant presque 100 000 véhicules en moins (source : Centre for Transport Studies Stockholm (2014) : The Stockholm congestion charges : an overview)

[3] DETEC (2014) : Etudes complémentaires sur les redevances pour l’utilisation des tunnels et des routes - Mandat de la CTT-N du 24 mars 2014


 

Contexte légal

  • En Suisse, les autorités ne peuvent pas procéder comme bon leur semble en termes de péages routiers et urbains. La Constitution fédérale prévoit en effet le principe de base de la gratuité de l’utilisation des routes publiques ; l’Assemblée fédérale peut autoriser des exceptions, mais selon des critères bien précis[1]:
  1. Il doit s’agir d’un investissement conséquent dans un ouvrage spécifique ou dans une route entière, dont le financement n’est que difficilement envisageable sans redevance.
  2. L’utilisation de l’ouvrage ou de la route en question doit procurer un avantage majeur à l’usager, en particulier en termes de gain de temps.
  3. La destination est également accessible par un autre itinéraire (gratuit), mais le déplacement serait nettement plus fastidieux.
  4. Il doit s’agir d’un projet prêt à être réalisé.

Actuellement, la seule dérogation en vigueur est le tunnel routier du Grand Saint-Bernard, qui relie le Valais à l’Italie. Quant à la vignette autoroutière et à la redevance sur le trafic des poids lourds liée aux prestations (RPLP), qui constituent des formes de « mobility pricing » (plus on roule, plus on paie), ces modes de financement figurent en tant que tels dans la Constitution.

La mise en place d’un péage urbain nécessiterait donc une adaptation de la Constitution fédérale.

[1] DETEC (2014) : Etudes complémentaires sur les redevances pour l’utilisation des tunnels et des routes - Mandat de la CTT-N du 24 mars 2014

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