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La croissance économique est-elle toujours un objectif désirable ?

CCIG
Posté le 12/11/2019
Articles de fond

La croissance économique et le bien-être matériel collectif sont généralement associés. A court terme, il semble peu discutable que la croissance économique détermine le niveau du bien-être social. Mais le bien-être comporte d’autres dimensions que la composante monétaire, et les conséquences de la croissance économique ne sont pas que positives : que l’on pense à la pénurie de logements ou à l’encombrement des routes, bien connus des Genevois. La CCIG a donc lancé une vaste étude, sous le pilotage d’un comité scientifique, pour déterminer des scénarios de réflexion et des outils d’aide à la décision sur comment aborder la croissance à Genève.

Pour de nombreuses personnes, la croissance économique apparait comme un objectif désirable. Pour les uns, elle est synonyme d’emplois supplémentaires, pour les autres elle est promesse d’améliorations diverses, qu’il s’agisse de logements sociaux, de réduction de la dette publique, de vacances bien méritées.

Or, les conséquences de la croissance économique ne sont pas toutes positives. L’augmentation de la population et l’établissement d’étrangers représentent des défis pour la cohésion sociale, la diminution du nombre de logements disponibles conduit à une hausse des loyers et à des difficultés accrues pour se loger, la saturation des transports et l’accroissement de la pollution réduisent la qualité de la vie urbaine, etc.

Comment mesurer les éléments qualitatifs du développement économique ? Quels modèles alternatifs au modèle actuel de la croissance économique existent-ils ? Comment arriver à une utilisation plus efficiente des facteurs de production ? Actrice de la vie économique et politique genevoise, la CCIG, comme un nombre croissant de citoyens et d'entreprises, s’interroge. Elle a donc décidé de réaliser une étude, sous le pilotage d’un comité scientifique, permettant de détailler les différentes dimensions de la croissance, tant au niveau conceptuel que de manière empirique, pour le canton de Genève. Objectif : proposer des scénarios de réflexion et des outils d’aide à la décision sur comment penser et aborder la croissance. Ainsi, il est attendu de cette étude qu’elle contribue à mieux anticiper et planifier l’évolution urbaine du canton, en particulier en identifiant si des modèles alternatifs au modèle existant de la croissance seraient pertinents pour Genève.


Deux étapes

L’étude de la CCIG se développe en deux phases. La première est confiée à l’Institut de recherche appliquée en économie et gestion (IREG), sous la direction du professeur Giovanni Ferro-Luzzi, et se concentre sur les aspects suivants :

  • Définition des concepts liés à la croissance, par exemple développement économique, développement durable, décroissance.
  • Description des différentes dimensions de la croissance (économique, démographique, urbaine, etc.) ainsi que de leurs mesures et de leurs limites.
  • Compilation de données existantes sur les différentes dimensions de la croissance à Genève, notamment la croissance économique, démographique, des transports, du logement, des territoires, etc.
  • Discussion des aspects positifs et négatifs liés à la croissance, par exemple l’impact sur le bien-être ou l’environnement.

Le rapport concernant cette première phase sera publié début 2020.

La seconde phase sera consacrée à de la recherche empirique, comportant la collecte de données supplémentaires et nouvelles, notamment à la lumière des enjeux pour les entreprises genevoises.


Croissance et économie

La problématique de la croissance touche principalement cinq secteurs clés pour l’économie.

Tout d’abord, le marché du travail. L’introduction de la libre circulation et ses extensions a permis aux entreprises suisses d’élargir le réservoir de main-d’œuvre et leur a offert des occasions de croissance. Mais bien que le taux de chômage ait peu varié depuis, l’UDC a tout de même fait aboutir l’initiative « Contre l’immigration de masse » en 2014.

Deuxièmement, le logement, dont la demande augmente avec la croissance économique. Celle-ci ne reste cependant qu’un facteur parmi d’autres en ce qui concerne l’augmentation des prix et loyers immobiliers, très forte dans l’arc lémanique.

L’aménagement du territoire est un enjeu central dans le débat puisque la croissance économique et démographique est souvent cause d’un agrandissement de la surface bâtie. En Suisse, celle-ci augmente constamment, de même que le mitage du territoire auquel l’acceptation de l’initiative « Pour en finir avec les constructions envahissantes de résidences secondaires » a récemment mis un frein. L’initiative « Stop au mitage » a en toutefois été refusée en votation populaire en février de cette année.

Quant à la demande de mobilité, qui suit la croissance démographique, elle a pris, à Genève et sa région, un rythme effréné, mettant toujours plus à contribution les infrastructures de transport… et les nerfs des usagers. 

Enfin, l’environnement. Le changement climatique est également un corollaire de la croissance économique et a un effet direct sur certaines branches telles que le tourisme, l’agriculture et l’énergie, ainsi qu’un effet indirect sur la santé des personnes et, partant, leur productivité.

Théories de la décroissance

Les effets positifs de la croissance ne peuvent être niés. Cependant, la croissance de la production se heurte aux limites écologiques et certains économistes ont été séduits par la théorie de la « décroissance » ou de la « sortie du développement » pour « assurer la vie des générations futures »[1].

Mais est-ce que cela doit déboucher sur une « décroissance » ? Notre modèle de développement n’est en effet pas durable, mais la décroissance ne serait-elle pas une mauvaise réponse à un vrai problème ? De nombreux économistes partagent l’idée que tout développement n’est pas intrinsèquement vicié et l’amélioration de la productivité n’est pas forcément synonyme de productivisme.

Une politique fédérale axée sur la croissance durable

Dans son rapport sur la Politique de croissance 2016-2019, le Conseil fédéral souligne en 2016 que, afin de garantir l’amélioration de la productivité du travail, il s’agit de prendre des mesures en faveur d’une politique de croissance durable et axée sur le long terme qui « vise à renforcer la place économique suisse en stimulant la concurrence, à réunir les conditions permettant de créer davantage d’emplois et de meilleure qualité, et à préserver, voire accroître la prospérité de la population »[2].

Parallèlement, l’opinion publique accorde un intérêt croissant aux répercussions négatives de la croissance économique sur l’environnement, les ressources naturelles et les infrastructures. Le Conseil fédéral souligne qu’une politique de croissance durable et axée sur le long terme doit avant tout se concentrer sur la dimension qualitative de la croissance, et non sur sa seule dimension quantitative.

Dans son rapport, le Conseil fédéral précise qu’une politique de croissance durable et axée sur le long terme repose avant tout sur un revenu par habitant élevé et croissant, et pas seulement sur la croissance du produit intérieur brut (PIB)[3]. Ainsi, il ne s’agit pas d’améliorer la performance économique en accroissant seulement l’emploi et le capital, mais en particulier en exploitant tous les facteurs de production de manière plus efficace et plus fructueuse.

[1] La plupart des auteurs de ce courant se réfèrent à N. GEORGESCU-ROEGEN, La Décroissance, Sang de la terre, 1995. Voir S. LATOUCHE, L’Occidentalisation du monde. Essai sur la signification, la portée et les limites de l’uniformisation planétaire, La Découverte, 1989, « Développement durable : un concept alibi. Main invisible et mainmise sur la nature », Revue Tiers Monde, tome XXXV, n° 137, janvier-mars 1994, pp.77-94, « Les mirages de l’occidentalisation du monde : en finir, une fois pour toutes, avec le développement », Le Monde diplomatique, mai 2001 ; G. RIST, Le Développement. Histoire d’une croyance occidentale, Presses de Sciences Politiques, 1996, « Défaire le développement, refaire le monde », L’Écologiste n° 6, hiver 2001, « La décroissance », Silence n° 280, février 2002.

[2] Politique de croissance 2016 – 2019, rapport du Conseil fédéral du 22.06.2016, p.2.

[3] Politique de croissance 2016 – 2019, rapport du Conseil fédéral du 22.06.2016, p.9.


Comité scientifique

  • Prof. Andrea Baranzini - HEG-Genève
  • Prof. Jean-Michel Bonvin - UniGe, Institut de démographie et socioéconomie
  • Prof. François Dermange - UniGE, Faculté de théologie
  • Prof. Giovanni Ferro Luzzi - UniGE, HEG / Ireg
  • Prof. em. Bernard Lachal - UniGe, Département Forel des sciences de l’environnement et de l’eau
  • Prof. Solène Morvant-Roux - UniGE, Institut de démographie et socioéconomie
  • Dr. Sylvain Wenger - UniGE, département d’histoire, économie et société
  • Prof. Sophie Swaton - Unil, Faculté des géosciences et de l’environnement
  • Nathalie Hardyn, Alexandra Rys et Karin Byland - CCIG

Collaborateur scientifique : Dr Sylvain Weber, Ireg 

2 commentaires

Pierre Cormon
Posté le 28/11/2019
Je suis stupéfait de voir que lorsque l'on parle des problèmes environnementaux gérés par la croissance économique surgit automatiquement l'idée de décroissance - qui est plus un slogan qu'un vrai concept. Et pas celle d'écologie industrielle, qui elle, est un véritable concept global avec des stratégies de mise en œuvre, permettant de lutter contre ces problèmes. Genève a d'ailleurs fait de gros efforts en ce sens.
Alexandra Rys
Posté le 28/11/2019
En effet. C'est pourquoi nous avons souhaité lancer cette étude de fond, pour analyser toutes les facettes de la question et proposer, in fine, une image de ce que ce serait une croissance qualitative pour Genève. Quant à l'écologie industrielle, c'est même un des domaines dans lesquels Genève se distingue, ainsi qu'il a été souligné dans notre Etude économique annuelle de cette année, "Développement durable: bonnes pratiques et plus-value pour les entreprises", que l'on peut lire ici: https://fr.calameo.com/read/005860279d1642463fb13

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