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Politique du logement : Les quotas ne créent pas de logements

Alexandra Rys
Posté le 01/10/2020
Articles de fond

Le résumé des épisodes précédents

En 2006, un vaste accord sur le logement - dont la CCIG était l’une des parties prenantes – était conclu, dont l’un des objectifs était d’atteindre un ratio de 20% de logements d’utilité publique (LUP) dans le canton. En avril 2017, le Conseil d’Etat proposait une modification de la répartition des catégories de logements pouvant être construits en zone de développement (voir CCIGinfo 4-2018). Selon ce projet de loi, devaient être désormais construits un tiers de LUP, un tiers de logements destinés à la classe moyenne / HM, dont la moitié réalises par des maîtres d’ouvrage publics (MOUP), le solde pouvant être dévolu à de la PPE. A l’été 2019, le Grand Conseil refuse cette proposition et adopte une loi maintenant la répartition dans son état antérieur, qui se caractérisait par l’obligation de réaliser une proportion déterminée de HM ou de LUP (ou, à défaut, de vendre à la collectivité publique 25% du périmètre), le solde étant au libre choix de l’opérateur. A noter que la proportion de HM variait selon que la zone de fond était une zone villa ou agricole.

Finalement, le 26 février 2020, le Conseil d’État valide l’aboutissement d’une demande de référendum cantonal contre cette loi [1]. En attendant que le peuple se prononce sur cet objet et prenant acte que l’article correspondant de la loi générale sur les zones de développement LGZD n’est plus en force au regard de l’effet suspensif dudit référendum, l'office cantonal du logement et de la planification foncière (OCLPF) arrête une nouvelle pratique administrative, applicable dès le 28 février 2020, concernant les catégories de logements à respecter en zone de développement. La nouvelle pratique reprend la répartition figurant dans le projet de loi (voir supra), soit un tiers du programme au moins pour des LUP, un tiers au minimum du programme pour des logements locatifs non subventionnés destinés à « la classe moyenne » et le solde du programme de logement laissé au libre choix de celui qui le réalise (propriété par étage ou locatif).

A la fin du mois d’août le Département du territoire a annoncé être parvenu à un accord avec les partis représentés au Grand Conseil, accord validé par un vote du parlement cantonal deux jours plus tard. La nouvelle répartition fixe les proportions suivantes : un tiers de logements d’utilité publique (LUP), dont au moins la moitié en HBM, un tiers consacré à des locatifs destinés à la classe moyenne. Le dernier tiers sera laissé au libre choix des promoteurs. La PPE devra constituer au minimum 20% du programme. En réalité, cette loi reprend la pratique administrative introduite par l’Etat en février 2020 (voir encadré), à deux aspects près : la PPE doit désormais constituer au minimum 20% du programme et le HBM, 16,5%.

Si l’on compare la place de la PPE au pourcentage possible précédemment – de 50 à 70% selon la zone de fond – cette proportion en dit assez long sur la place qui est faite à la propriété privée dans la planification du territoire…

Ainsi, en 13 mois, le logement aura connu trois régimes différents et de nombreux observateurs s’accordent à dire que l’incertitude sur le devenir du fameux article 4A LGZD est maintenant levé. Mais la question est : la situation du logement à Genève s’en trouve-t-elle vraiment améliorée pour autant ?

Pour tous les acteurs économiques, la prévisibilité est un facteur important et celle qui est instaurée par la nouvelle loi n’est pas négligeable. Comme le relève Philippe Angelozzi, secrétaire général de l’Association des promoteurs et constructeurs genevois (APGC), « le texte de loi comporte plusieurs fois l’expression ‘ en principe’. On peut en déduire une volonté de souplesse dans l’application. Malgré cela, ce système de quotas nous paraît trop rigide et tout sera fait sous le régime de la dérogation ! »

 Le besoin réel de la population : la grande inconnue

Ainsi que la CCIG – tout comme d’autres associations économiques –  l’a relevé plusieurs fois, notamment lorsqu’elle a été auditionnée, en 2018 et 2019, par la commission du logement du Grand Conseil, une des pierres d’achoppement dans ce débat réside dans la définition et la quantification des besoins de la population en matière de logement. Et ici, le bât blesse car le canton manque cruellement de données fiables.

Une étude, réalisée en 2015, a servi de base à la loi retoquée l’an dernier par le parlement mais qui constitue les trois quarts de la loi actuelle. Mais celle-ci, de l’aveu même de son auteur, est fondée sur de nombreuses hypothèses de travail, qui engendrent des biais considérables (échantillon faible, données fédérales, transposition aux ménages genevois, etc.).

Dans son « examen sommaire » de mai 2020, la Cour des comptes arrive à la même conclusion : « Si les résultats constituent certes une base indicative intéressante, la Cour constate toutefois qu’ils n’en demeurent pas moins insuffisants pour informer précisément la politique en matière de logements d’utilité publique et pouvoir évaluer rigoureusement sa pertinence. (…) Les conditions ne sont pas réunies pour permettre aux autorités cantonales de mener une politique de LUP pertinente et efficace, répondant à la fois aux objectifs quantitatifs et qualitatifs que le législateur s’est fixé à l’époque ».

Insuffisance de PPE … et ses conséquences

Indéniablement, la PPE répond au besoin d’une partie de la population : son taux de « vacance » sur la période 2001 à 2017 est de 0,35%. Les observations faites de manière régulière sur les dernières commercialisations de PPE montrent qu’en moyenne plus de 10 dossiers solvables sont déposés par logement PPE contrôlé mis en vente.

Une étude du Credit Suisse publiée en septembre 2018[2] met en évidence que l'intérêt de la population pour la PPE à Genève augmente plus fortement qu’en moyenne suisse. Or, seule la création de PPE en zone de développement peut, à court terme, offrir une possibilité d’achat de logement aux ménages bénéficiant d’un revenu médian. En effet, la PPE en zone de développement est en moyenne 32% moins chère que sur le reste du marché[3].

Pour Christophe Aumeunier, secrétaire général de la Chambre genevoise immobilière, « le Covid accentue encore la demande pour de la PPE. Or, le prix moyen d’un appartement de 5 pièces en zone de développement est de 630'000 francs, ce qui est abordable pour la classe moyenne. Cette catégorie de la population dispose de fonds propres, mais ce sont les objets qui manquent ! ».

Alors que l’esthétique des nouvelles réalisations immobilières est régulièrement critiquée par les citoyens, souvent à raison, la détermination a priori de volumes attribués aux différentes catégories de logement va rendre l’équilibre financier encore plus difficile à trouver, sauf à réaliser des barres à la soviétique – ce que, précisément, personne n’est prêt à accepter – ou à augmenter le prix de la PPE, la rendant ainsi plus difficile d’accès aux classes moyennes qui sont justement celles qui pourraient accéder à la propriété de leur logement.

Le seul mérite de ces ratios est de vouloir favoriser la mixité des logements et, donc, des catégories sociales. Il est – évidemment – vital d’éviter les effets de ghetto en ne construisant qu’une catégorie de logements, destinés à une typologie donnée de population. Une concentration trop importante de logements sociaux n’est souhaitable ni du point de vue sociologique, ni du point de vue de la qualité de vie du quartier créé. En effet, le plan financier doit pouvoir supporter la création d’espaces communs, de balcons ou d’autres aménagements et infrastructures qui rendent plaisante la vie dans un immeuble et dans un quartier. En d’autres termes, une péréquation s’opère entre PPE et locatifs libres, d’une part, et logements sociaux qualitatifs, d’autre part : les premiers permettant d’agrémenter les seconds. [4]

La construction de bâtiments de grande hauteur pourrait être la clé permettant de résoudre la difficile équation posée par l’Etat avec l’imposition de ces quotas rigides. Des bâtiments hauts « économisent » du sol, permettent aux plans financiers de tourner et, partant, favorisent l’ajout d’équipements qualitatifs.

 

[1] Loi modifiant la Loi générale sur les zones de développement (LGZD) (L 1 35 – 12477).

[2] Marché genevois de la PPE-Rationnement sur le marché, Août 2018.

[3] En zone 3, la décote pour zone de développement se monte même à 48% (OCSTAT, Transactions immobilières : résultats 2017, décembre 2018).

[4] L’insuffisance de logements disponibles à l’achat[4], dans des tranches de prix accessibles à la classe moyenne, provoque l’exode de ménages vers la France voisine ou le canton de Vaud. Une étude menée en 2017 par la HEG et l’Université de Genève sur mandat de la CCIG et l’office cantonal du logement et de la planification foncière (OCLPF) a montré que si les ménages qui souhaitaient le faire pouvaient revenir s’établir à Genève, l'économie du canton bénéficierait d'un gain compris entre 530 et 700 millions de francs liés à la consommation des ménages, soit environ entre 1,1 et 1,5% du produit intérieur brut (PIB), ainsi que de recettes fiscales supplémentaires comprises entre 103 et 139 millions de francs par an.[4] Les conséquences de l’insuffisance de PPE disponibles sont donc loin d’être anecdotiques.

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