Bâle III aura-t-il des conséquences sur le financement des entreprises ?
Les Accords de Bâle III vont entrer en vigueur le 1er janvier 2019. Ils comportent, pour les banques plusieurs obligations, dont de nouvelles exigences de fonds propres, dont on pourrait imaginer qu’elles vont se traduire par une augmentation du coût du crédit.
Les dispositions de Bâle reposent sur trois piliers : l’exigence de fonds propres, la surveillance des risques et une meilleure communication au marché. C’est principalement l’exigence de fonds propres qui va retenir notre attention ici.
Dans Bâle II, le volume de fonds propres que la banque devait détenir était calculé selon un ratio tenant compte des différents risques (de « crédit », de « marché » et « opérationnel »). Bâle III introduit la notion d’actifs pondérés par le risque; ceux-ci correspondent à la somme de tous les actifs multipliée par le poids du risque correspondant à chacun d’eux. L'idée est d'éviter de déterminer un montant fixe de capital à détenir, sans distinction et sans modularité ; p. ex. un crédit en blanc étant plus risqué qu’un crédit hypothécaire, le volume de fonds propres requis de la banque sera différent.
Selon la « quantitative impact study » de la FINMA, conduite pour évaluer l’impact en capital des règles de Bâle III, l’augmentation nécessaire de fonds propres serait, en moyenne, de 3%, ce qui a été considéré comme peu significatif. On peut néanmoins penser que, pour répondre à cette obligation supplémentaire, les banques devront augmenter leur capital, augmenter leurs réserves en y incorporant leurs bénéfices, voire même réaliser des bénéfices accrus (à supposer que le marché le permette). Les banques devraient donc adapter leurs taux dès lors que davantage de fonds propres sont mobilisés pour une opération.
Bâle III instaure également de nouveaux ratios de liquidités. Sur les lignes de crédit de trésorerie notamment, la banque doit prouver à tout instant que si 15% des entreprises viennent tirer des crédits , la banque est en mesure de les servir. De nouveau, la banque devrait logiquement répercuter cette exigence sur le coût de la ligne de crédit.
Autre source de coût pour les banques, la mise en œuvre des mesures de Bâle III implique l’installation d’un outil informatique réalisant ces nouveaux calculs. Pour une banque telle que la BCGE, les seuls coûts informatiques seront de l’ordre de 500'000 à 1 million de francs.
Cependant, la manière dont les banques répartissent ce coût est laissée à leur appréciation, qui prend en compte tant les impératifs commerciaux que la réalité du terrain. Dans l’immédiat, le taux des affaires en concurrence ne devrait pas être trop affecté. Les éventuelles adaptations se répercuteront dans le temps et selon la vivacité de la concurrence.
Quelles conséquences pour l’accès au crédit ?
Les crédits aux entreprises et les crédits hypothécaires souffriront un peu de l’entrée en vigueur de Bâle III. Toutes les entreprises qui viennent chercher un financement pour des locaux commerciaux, artisanaux ou industriels feront en réalité un crédit en blanc, à cette différence près que la banque demandera de surcroît une cédule hypothécaire en gage. La marge d’appréciation dont disposent les banques leur permet en effet de continuer d’offrir ces prestations à des taux intéressants. Certaines grandes banques ont d’ailleurs vu ce pan de leur activité croître de manière continue depuis 2008. Il est cependant impossible d’affirmer aujourd’hui que les conditions d’octroi de crédit pourront rester identiques à long terme.
L’impact à ce jour touche en priorité les banques qui ont été contraintes de réduire ou de supprimer des activités afin de diminuer le volume des actifs pondérés par le risque. C’est notamment le cas des opérations pour compte propre, très gourmandes en fonds propres. Toutes les banques n’y recouraient cependant pas.
En réalité, les entreprises vivent actuellement une période intéressante du point de vue du coût du crédit. En raison de l’extrême faiblesse du LIBOR, qui détermine le coût de refinancement de la banque (cf. encadré), le crédit coûte moins cher aujourd’hui qu’il y a trois ans. La baisse du coût de refinancement a même plus que compensé une possible augmentation liée à Bâle III. Il faut noter que les taux d’intérêt se situent à des niveaux historiques très bas.
En comparaison internationale, le coût du crédit pour une PME est moins cher en Suisse qu’à l’étranger. En outre, le crédit est en tout temps accessible aux entreprises, ce qui n’a récemment pas été le cas dans toute l’Europe.
Distorsion de concurrence ?
La FINMA a segmenté les banques suisses en cinq « catégories ». En haut de la pyramide se trouvent Credit Suisse et UBS qui ont l’obligation de couvrir à hauteur de 19% leurs actifs pondérés par le risque. Ces 19% se décomposent de la manière suivante : 10,5% d’exigence de fonds propres[1], auxquels s’ajoutent un pourcentage supplémentaire dit « Swiss finish » et un autre destiné à contrebalancer « too big to fail ». La BCGE se trouve, quant à elle, au 3e niveau, avec une obligation de couverture de 12%. En France, des instituts tels que BNP ou la Société Générale ont une obligation de 8%. Si l’on prend le cas de la BCGE, cela signifie donc qu’elle doit détenir 50% de fonds propres en plus que la même banque à l’étranger.
Ce désavantage concurrentiel peut cependant conduire à une notion de sécurité supplémentaire procurée aux clients, ce qui se traduit par un meilleur rating de la banque suisse. Cette sécurité accrue fonctionne bien si on compare banques suisses et banques étrangères. Si on ne considère cependant que les banques suisses, les banques cantonales jouissent d’un rating supérieur car, garanties par l’Etat, le marché considère qu’elles seraient soutenues par leur canton en cas de problème.
La nouvelle réglementation vise à renforcer le système bancaire, indispensable au soutien et au développement de l'économie. Cette nouvelle réglementation engendre des coûts qui seront forcément intégrés tôt ou tard dans les prestations et crédits aux entreprises et particuliers. C'est le prix à payer pour disposer à terme de banques solides au service de l'économie.
Comment sont calculés les fonds propres
Il n’existe désormais plus que deux modes de calcul des fonds propres : l’approche standard de la Banque des règlements internationaux (BRI) où tous les paramètres sont fixés par le régulateur et une approche avancée qui, en Suisse, ne concerne que l’UBS, le Credit Suisse et la BCV. Celle-ci permet de moduler les risques pondérés (RWA) selon le système interne d’appréciation du risque agréé par la Finma. Cette méthode, avantageuse pour les banques qui y sont soumises lorsqu’elles traitent de bons risques, devient désavantageuse dans le cas contraire par rapport à l’approche standard. Il est à relever, toutefois, que ces différentes méthodes de calcul ne modifient en rien l’approche du risque, qui continue d’être évalué de manière traditionnelle. Et seul l’avenir dira si les différentes méthodes auront des conséquences sur la répartition des risques selon les établissements.
Historique des Accords de Bâle
Les Accords de Bâle III, publiés le 16 décembre 2010, sont des propositions de réglementation bancaire visant à renforcer le système financier suite à la crise financière de 2007 (crise « des subprimes »), sous l'impulsion du FSB (Financial Stability Board), lui-même issu du G20.
Ils ont été précédés de Bâle I (1988) et Bâle II (2005, mise en œuvre en Suisse en 2008). En 2009, des règles intermédiaires, en attendant la grande réforme, ont été introduites sous le nom de Bâle 2,5. Discutés depuis 2010, les premiers textes de Bâle III sont parus en 2011, avec une entrée en vigueur initialement prévue au 1er janvier 2013, aujourd’hui fixée au 1er janvier 2019. Certaines banques, toutefois, appliquent déjà Bâle III ; c’est le cas du Credit Suisse depuis le 1er janvier 2013.
Cette réglementation part du constat que la sévérité de la crise résultait en grande partie de la croissance excessive des bilans et hors bilan bancaires (via, par exemple, les produits dérivés), tandis que, dans le même temps, le niveau et la qualité des fonds propres destinés à couvrir les risques se dégradaient. En outre, de nombreuses institutions ne disposaient pas non plus de réserves suffisantes pour faire face à une crise de liquidité.
[1] Seules les banques n’accordant pas de crédit aux entreprises sont tenues de n’observer que le 10,5% de fonds propres.
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